Cher auteur, chère autrice, vous venez de terminer l’écriture d’un récit dans la langue de votre choix. Probablement celle dans laquelle vous habitez. Et maintenant, elle va être traduite dans une autre langue, qui n’a peut-être que peu de points communs avec la vôtre. De ses origines à sa syntaxe, de son ton à sa structure, elle peut être très différente.
Et puis, il y a le lecteur ou la lectrice du récit traduit. Peut-être quelqu’un d’une autre partie du monde, qui n’a pas accès aux connaissances et aux repères culturels que vous considérez comme acquis chez un lecteur ou une lectrice qui serait de votre environnement. Même si les mots et les phrases sont traduits avec soin de votre langue vers cette nouvelle langue, vous vous demandez si les éléments implicites seront également transmis. Il n’est pas rare que cela vous apporte un brin de nervosité.
En tant que traducteur, je comprends votre inquiétude. J’ai moi-même mes propres appréhensions. Lorsque je traduis, par exemple, un récit écrit en bengali vers l’anglais, je suis pris par l’angoisse : réussirai-je à transmettre tout ce que ce récit écrit dans une langue que j’habite – et pas seulement une langue dans laquelle j’écris ou lis – vers celle dans laquelle je traduis ? Et puis, qu’en est-il de l’anglais que j’utiliserai, qui est le mien d’une manière unique, mais qui n’est peut-être pas l’anglais que le lecteur ou la lectrice du récit traduit connait ?
Trouver l’équivalent des mots et des expressions est le moindre des problèmes. Il est certain que parfois, la langue dans laquelle je traduis n’aura pas d’équivalents précis, mais le sens peut toujours être transmis en développant le mot ou l’expression et en transmettant une partie du contexte si nécessaire. Le « stealth gloss », comme on l’appelle souvent, intègre ces explications dans le texte, en gardant le ton, sans qu’elles apparaissent comme des notes de bas de page.
Il y a des traducteurs et des traductrices qui laissent également ces mots et expressions particuliers non traduits, afin d’indiquer au lecteur ou à la lectrice qu’ils représentent des choses qui dépassent le champ d’expérience et de connaissance de la nouvelle langue. L’essentiel, cependant, est que la distance ainsi créée entre le lecteur ou la lectrice et un concept inconnu ne modifie pas l’expérience de lecture.
La première chose sur laquelle je me concentre lorsque je traduis est la relation entre la langue « source » du récit et sa version standard, celle que la majorité des gens lisent et comprennent facilement. Le récit utilise-t-il la langue différemment ? Est-il expérimental ? Tente-t-il de faire des choses nouvelles avec cette langue ? Le récit utilise-t-il un registre inhabituel ? J’essaie de m’assurer que la langue que j’utilise dans ma traduction conserve la même relation avec la version standard, telle qu’elle est, de la langue « cible ». Changer cette relation ne manquera pas d’appauvrir considérablement le récit.
Ensuite, quelle est l’expérience de lecture de la version originale ? Est-ce que le lecteur ou la lectrice parcourt le texte sans difficulté ? Ou est-il délibérément amené à s’arrêter et à réfléchir à ce qu’il lit ? Je m’efforce de reproduire autant que possible la même expérience.
Enfin, il y a la question de savoir comment le traducteur ou la traductrice lit le récit avant de le transposer dans une nouvelle langue. C’est une question délicate. Ma propre pratique consiste à ne pas lire un récit d’une seule manière, mais à permettre à ma traduction d’être lue de toutes les manières possibles, comme pour la version originale. Le but n’est pas de réduire les options, mais de les préserver, voire de les élargir dans certains cas.
Pour moi, il est important que la traduction ne donne pas l’illusion que le récit a vu le jour dans la langue dans laquelle il a été traduit. Mais je ne déforme pas délibérément l’usage de la langue anglaise pour rappeler au lecteur ou à la lectrice ce fait. Le fait est que la langue originale fonctionne avec un ensemble de notes différentes, que l’auteur ou l’autrice utilise pour composer une œuvre qui s’apparente beaucoup à une pièce musicale. La traduction, c’est comme jouer ces mêmes notes, mais sur un instrument différent, qui respecte les spécificités de ce nouvel instrument et ne cherche pas à reproduire le son de l’original.
En résumé, votre récit, cher auteur, chère autrice, n’existe pas seulement dans le sens littéral des mots du dictionnaire : ce sont tous ces autres éléments qui le rendent unique. Et même si la version traduite ne sera jamais identique à celle que vous avez écrite, ne serait-ce que parce que la nouvelle langue a son propre mode de fonctionnement, la version traduite lui donnera une nouvelle vie qui peut être aussi vibrante que celle que vous lui avez donnée. Faites confiance au traducteur, à la traductrice.
Traduit par Edwige Dro en français
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